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Le militant et l'animateur

Le sculpteur ne se confine pas dans son atelier. Chez son premier patron il acquiert une rapidité d'exécution extraordinaire qui lui permet de faire mille autres choses. D'ailleurs il éprouve toujours le besoin de prendre du recul sur son travail.

 

L'accueil des gens lui prend beaucoup de temps. L'accueil, c'est sacré pour Eugène et sa soif de contact n'est jamais assouvie.

Dans sa demeure ouverte à tous les vents et à toutes les gens, des milliers de visiteurs défilent : des paumés et des gens bien nés, des chanteurs, des musiciens et autres artistes, des prêtres, des moines et des religieuses, des hommes politiques.

Des milliers de fois j’ai vu Eugène tout quitter, séance tenante, pour accueillir les nouveaux venus qui venaient d'actionner le moulin à sonnettes de la porte d'entrée et leur faire visiter les ateliers et le grenier où s'entassaient ses oeuvres.

Après la visite, le rituel exigeait que l'on s'assoie autour de la table ronde de la salle à manger et que l'on trinque avec un verre de cidre ou une tasse à café de céréales en refaisant le monde.

Parfois, Eugène ramenait chez lui un clochard rencontré dans la rue ou que le curé lui envoyait. Gabrielle, sa femme, était priée de donner illico une soupe au miséreux, à plus forte raison s'il était éméché. Un de ces vagabonds arriva un jour alors qu'on s'apprêtait à enfourner le pain : c'était un ancien boulanger, il s'appelait Lebonpain !

Eugène était un politique né, au sens premier du terme, que rien ni personne ne laissait indifférent. L'intérêt de sa commune, dont il était très fier, passait avant tout.

C'est sans doute pendant son long séjour à Rennes qu'était née sa vocation d'animateur infatigable, attisée par sa hantise de voir son village péricliter.

En 1938, avec des amis, il crée ‘’L'Étoile Sportive’’. il jouera longtemps au football avant de devenir dirigeant et président pendant plus de trente ans.

Il organise des fêtes, des carnavals. En 1960, il ouvre un musée d'art et traditions populaires et crée le syndicat d'initiatives.

C'était un polyvalent, Eugène, un forcené du bénévolat qui s'impliquait dans tous les combats culturels et écologiques.

Croyant et pratiquant fidèle, il était bedeau, préparant l'église pour les différentes cérémonies, assistant le prêtre pendant la messe. Quand quelqu'un mourrait, c'est encore lui qu'on appelait ; il procédait à la toilette et habillait le défunt.

Même quand il ne fut plus élu, il assistait, muet mais attentif, aux réunions du Conseil Municipal et réagissait les jours suivants, d'une manière ou d'une autre, aux décisions qui n'étaient pas de son goût.

Il avait installé sur le trottoir, face à l'église, entre boucherie et boulangerie, un tableau d'information qui servit longtemps à annoncer les matches de football, mais qui devint peu à peu le support de ses principales préoccupations.

Quand il fut question d'aménagement foncier, les annotations se firent de plus en plus acerbes, virulentes, mais ce journal "fait main" comporta le plus souvent des inscriptions extraordinairement belles, poétiques et idéalistes, des actes de foi aussi : " Je pars à Lourdes prier pour que le remembrement ne se fasse pas ! " Ou bien: "Chaton est mort cette nuit au petit pré ! ". Chaton c'était son âne, il était mort un quatre mars, jour anniversaire de son maître.

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